39-Quel hasard !

Adrien est assis dans le wagon, le visage à moitié dissimulé par sa casquette. Il observe les gens sur le quai qui se croisent, s’embrassent, se retrouvent, se quittent. Il a mal aux maxillaires à force de serrer des dents. Depuis combien de temps n’a-t-il pas vu ses parents ? Le train quitte la gare.

Abigail, un sac en bandoulière, traverse les wagons un par un en jetant un coup d’œil circulaire dans chaque voiture, à la recherche d’Adrien. Son portable sonne. Elle se hâte de décrocher et s’assoit au passage sur un fauteuil.

  • Oui… Dans le train… Je sais, je suis une fille raisonnable d’habitude, je n’ai jamais rien fait d’aussi dingue, mais ça fait du bien ! … Je te tiens au courant… D’accord Eva… Je t’embrasse.

La dame à côté de laquelle elle s’est installée, la regarde de travers. Abbie lui sourit et reprend aussitôt sa traversée. Elle rencontre des regards qui parfois l’accrochent, d’hommes, de femmes et aussi d’enfants. Enfin, en entrant dans une voiture elle reconnait la casquette, le blouson… Bercé par le roulis, Adrien s’est assoupi, sa tête est appuyée sur son bras dans une attitude d’abandon. Elle ressent comme un serrement dans son cœur qui s’accélère, une légère panique la gagne, elle prend tout à coup conscience de la folie de sa démarche. Que faire ? Le réveiller ? Jouer la surprise ? Il est entouré de voyageurs, c’est compliqué de l’atteindre… Elle regarde autour d’elle et décide de continuer vers le wagon suivant.

Adrien dans son sommeil, a l’impression de flotter au-dessus de son corps, son bras glisse du bord de la fenêtre, il se réveille en sursaut. Il reste hagard un instant. La femme en face lit un journal. Il se retrouve nez à nez avec sa photo en encadré : « De Ponchartrain obligé de remplacer Adrien Bicalène ». Il se lève en rabaissant sa casquette et se dirige vers le wagon de restauration rapide. Il commande un café en évitant le regard des gens qu’il croise. Abbie le reconnait dans le reflet de la vitre, elle n’ose plus bouger ni respirer. Elle se sent mal, elle se sent lâche, maintenant elle voudrait faire marche arrière. Elle va l’éviter, descendre à la prochaine, revenir sur Paris. Elle rentre la tête dans les épaules.

  • Abigail ?

Abbie sursaute, se retourne, se lève sur le coup de l’étonnement et renverse son café. Incapable de prononcer un mot, elle le regarde les yeux ronds. Ils s’embrassent comme de bons amis. Il prend sa serviette pour éponger.

  • C’est moi ça normalement !… Ça me fait plaisir de te voir ! Bouge pas je vais t’en chercher un autre !

Il revient s’asseoir en face d’elle. Elle rit et le remercie. Quelque chose a changé chez elle, peut-être est-ce ses cheveux détachés. Il est étonné d’être content de la rencontrer, lui qui n’avait envie de rien. Il relève un peu la visière de sa casquette, elle n’avait pas vu à quel point son visage portait des ecchymoses, même ses yeux sont rouges comme s’il avait pleuré.

  • Tu pars te reposer dans la famille ?
  • Je ne vois pas ce qui te fait dire que j’ai besoin de repos !

Elle fuit son regard. Il rit.

  • N’aies pas l’air gêné à ce point ! Oui je vais à Tarbes voir mes parents et je te rassure, tu ne vas pas te faire engueuler par Mady, elle n’est pas du voyage. Il y a comme qui dirait de l’eau dans le gaz ! Ce n’est pas la première fois qu’on se quitte fâchés.

Il affiche un sourire franc. Abbie en reste bouche bée. Elle a du mal à contenir son soulagement et cette joie sans nom qui la tenaille. Cette info nouvelle lui convient bien, elle qui n’avait pas très bonne conscience !

  • Qu’est-ce que tu as fait de Labas ? Il jette un œil circulaire. Je ne l’ai pas vu.
  • Il est là-bas !

Il regarde autour de lui. Elle rit encore, légère

  • Mais non ! Je veux dire qu’il est resté à Paris, lui ! Je te rappelle qu’ils te cherchent un remplaçant !
  • Je le trouve assez pot de colle avec toi !
  • Les papas poule veillent toujours sur leur petite fille !
  • Tiens ! C’est la première fois que tu dis qu’il est ton père, vous ne portez pas le même nom.
  • Pour la petite histoire, ma mère a quitté mon père sans savoir qu’elle était enceinte. Quand je suis née, elle m’a donné son nom à elle et n’a prévenu mon père que plus tard. Elle pensait que ce ne serait pas une bonne nouvelle pour lui, qu’il n’était pas prêt, surtout pas avec quelqu’un qui venait de le quitter.
  • Elle avait raison ?
  • Elle avait tort. Il était fou de joie. Il s’est beaucoup occupé de moi malgré leur séparation, d’ailleurs ils sont restés très proches. Mais ça n’a pas l’air de t’étonner qu’il soit mon père…
  • Je l’avais entendu te parler l’autre jour… Vous ne voulez pas que ça se sache que vous êtes parents ?
  • Ce n’est pas que nous ne voulons pas, c’est juste que c’est comme ça, c’est perso, alors nous sommes discrets… Comme toi et Daisy
  • Quoi moi et Daisy ?
  • Il y a Mady. Et il y a Daisy !

Il fronce les sourcils et la regarde d’un drôle d’air.

  • Qu’est-ce que tu racontes ?
  • Excuse-moi, ça m’a échappé, je ne sais pas ce qui m’a pris, c’est idiot, je voulais plaisanter.

Elle se lève, désemparée, prête à s’enfuir. Il la retient.

  • Allons, pas de panique. Daisy me poursuit un peu c’est vrai et parfois, je la laisse faire mais comment résister à une fille qui vous fait croire que vous êtes le meilleur ?
  • Je comprends…

Il sirote son café en riant.

  • Mais non tu ne peux pas comprendre ! Mais ça n’a pas d’importance !

Abbie se renfrogne, tout à coup elle se sent tellement malheureuse. « Tu ne peux pas comprendre, mais ça n’a pas d’importance » Elle se perd dans le paysage qui défile. Adrien l’observe avec douceur.

  • Tu crois toujours tout ce qu’on te dit ?

Elle hausse les épaules, ne sachant que répondre.

  • Qu’est-ce que tu fais là, Abbie? C’est surprenant de se retrouver dans le même train au même moment !
  • Oui, c’est incroyable…

Son cœur s’affole à nouveau. Il ne va jamais la croire, elle se sent rougir jusqu’aux oreilles et se déteste. Adrien rit.

  • Alors ?
  • Moi aussi je vais à Tarbes ! Je rends visite à une amie qui traverse une période difficile. Son fiancé l’a plaquée et elle est en train de dévorer toutes les tablettes au chocolat qui lui tombent sous la main.
  • C’est une urgence ! Elle s’appelle comment ton amie ?

La panique gagne Abbie. Elle pense qu’il devine toutes ses pensées et tous ses mensonges. Elle n’a pas l’habitude de se trouver dans une telle situation. Qu’est-ce qui lui a pris de prendre ce train ! Son portable la sauve en se mettant à sonner. Sur l’écran, le prénom d’Eva s’affiche.

  • Oui Eva ?
  • Alors ? Tu en es où ? Je n’en peux plus d’attendre de tes nouvelles ?
  • Tu ne devineras jamais ! J’ai rencontré une personne de mon boulot dans le train !

Eva éclate de rire.

  • Tu ne peux pas parler ! Ça y est, tu l’as hameçonné ! Je te laisse. Rappelle-moi.
  • D’accord. A tout à l’heure.

Elle repose son portable.

  • C’est Eva. C’est à elle que je rends visite.
  • La fiancée éplorée ? C’est marrant, j’ai cru qu’elle riait.
  • Elle pleurait…

Abbie triture le papier de son morceau de sucre sans oser lever les yeux sur lui. Adrien observe à son tour le paysage défiler, il se laisse aller à rêver. Elle pose sa main sur la sienne. Il la regarde surpris. Elle l’enlève aussitôt.

  • Je suis désolée pour ce qui t’est arrivé. Je n’ai pas eu l’occasion de te dire combien cela m’avait contrariée.
  • C’est gentil Abigail.
  • Ce sont les mêmes ? Ils avaient ton adresse ?
  • Ce ne sont pas les mêmes.
  • Pourquoi est-ce qu’on a tous l’impression que tu es en danger ?
  • Faut pas exagérer !
  • C’est navrant pour l’émission !
  • Tu as eu des nouvelles de la prod ?
  • Pas encore. Je te tiendrai au courant. Ils font des tests aujourd’hui. J’ai demandé à Labas de me remplacer deux jours. Ma copine tu comprends…

Adrien malmène sa cuillère dans sa tasse à café.

  • Abigail ? Elle lève les yeux vers lui. Je suis content de te rencontrer aujourd’hui. Je n’ai pas été agréable avec toi la dernière fois que nous nous sommes vus. Je tiens à m’en excuser.

Abbie a broyé les derniers morceaux de sucre sous ses doigts rougis. Elle n’ose plus le regarder mais s’entend dire

  • Je n’ai pas envie de travailler sur cette émission si tu n’y es plus.

Un silence s’ensuit. Adrien la regarde, étonné. Elle n’ose plus bouger ni lever les yeux.

  • C’est gentil ça. Je te remercie Abigail. Je crois qu’ils vont bosser avec Yvan Pervier. Il est très sympa tu verras. Si tu veux, on échange nos numéros de portable, on pourra peut-être se boire un café avec ta copine pendant ton séjour…
  • Et si j’ai des nouvelles de Labas ou de la prod, je t’enverrai un sms !

Chacun s’empare de son portable. Ils lèvent la tête en même temps et rient.

©lenferdudecor

40-Menaces

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