57-Retour à la vie

Aujourd’hui Adrien s’apprête à quitter l’hôpital, mais il se sent anéanti. Il n’a plus desserré les dents depuis les évènements qui se sont produits dans les entrepôts. Il a aussi mal dans son corps que dans son cœur, avec le sentiment difficile d’être inconsolable. Le dernier regard de son frère, l’état pitoyable dans lequel il se trouvait… Eddy a eu le culot de lui dire que c’était de sa faute. Il l’a laissé dans cette cave ! Il aurait dû le traîner de force à l’extérieur. Il en aurait été capable, il en est sûr ! Si prêt du but il a abandonné. Il l’a abandonné. Il n’arrivera jamais à digérer ça. Jamais. Et l’image de Gandeze braquant son arme sur lui l’obsède, lui revient sans cesse à l’esprit, le fait sursauter comme si le coup partait à nouveau. L’enquête est en cours, les corps calcinés pas encore identifiés. Enfin ça, c’est ce qu’on lui a dit. Il y a certainement Sam et peut-être André, à moins que ce ne soit Eddy ? Eddy !

Assis sur un fauteuil à côté de la fenêtre, l’épaule et le bras bloqués dans un bandage à velcro, Adrien se perd dans ses pensées. Dehors, des jeunes femmes se regroupent tous les jours jusque tard le soir. Elles appellent Adrien, certaines ont des pancartes avec son prénom, des messages ou des cœurs. Parfois elles improvisent des chants et il les entend rire alors il leur envie leur légèreté. Adrien a reçu de nombreux cadeaux de ses fans qu’il redistribue au personnel de l’hôpital. Il reçoit bon nombre de messages et mots doux que les infirmières lui lisent parfois, avec dévotion.

Son portable vibre. Il décroche.

  • Toto ? Adrien esquisse un léger sourire sans répondre. Toto, c’est Marc Labas, ton réalisateur. Tu m’entends ?
  • Oui.
  • Tu rentres quand ?
  • Je ne sais pas.
  • De Ponchartrain t’a appelé ?
  • Oui.
  • Il t’a dit que quand tu te sens d’attaque, on te récupère ?
  • Oui.
  • C’est bien mon Toto. T’as envie de revenir ?
  • Non.
  • Ah… Tu penses être combien de temps en convalescence ?
  • Je ne sais pas.
  • Je t’invite à dîner à la maison quand tu rentres, d’accord ? Je te présenterai à ma femme qui me supporte depuis de nombreuses années je ne sais pas comment elle fait. Et à mes filles. Abigail mais je suis bête, tu la connais. Et à Aglaé et à Zinzin, mon fils. Il veut être réalisateur plus tard. C’est déjà un artiste tu sais ! Il a des étoiles plein la tête, enfin moins parce que les cheveux repoussent vite heureusement mais il a de la suite dans les idées. J’inviterai aussi Maxime, je pense que…
  • Marc.
  • Oui ?
  • Il faut que je vous laisse.
  • D’accord mon Toto. Bon ben à bientôt.

Adrien raccroche. Une infirmière entre tout sourire. Elle rabat en permanence derrière ses oreilles les mèches qui s’échappent de sa queue de cheval.

  • Alors monsieur Bicalène, c’est aujourd’hui que vous rentrez à la maison ? Vous devez être content de partir.

Il ne répond pas mais la regarde avec bienveillance.

  • Vous allez nous manquer.
  • C’est gentil.
  • Ce sont vos parents qui viennent vous chercher ?
  • Oui.
  • Je vois que votre sac est déjà prêt. Vous avez besoin d’une aide quelconque ?
  • Non.
  • Je vous souhaite un bon retour. J’espère que nous vous reverrons bientôt non pas dans nos services, mais à la télévision.
  • Merci.

Elle revient dans la chambre.

  • Il y a une enveloppe pour vous ! Elle était coincée dans la plaque de la porte.

Elle tourne l’enveloppe dans tous les sens.

  • Il n’y a pas de nom dessus…

Elle la lui tend en riant et ressort. Il la regarde à peine et la jette dans la corbeille. Adrien revoit le visage de son père face à Gandeze, tendu, creusé, déformé par la haïne, la colère ou la peur… Ses yeux se perdent à nouveau vers l’extérieur. Le ciel est gris, l’atmosphère est grise, les gens sont gris… Même le ciel pleure toute cette merde. Sam est mort ! Pauvre gars ! On ne se réveille pas de ce genre de cauchemar ! Eddy !… L’ont-ils récupéré avant de transformer les entrepôts en brasier ? Lui-même aurait pu mourir et son père avec ! Sa mère serait devenue folle ! Maintenant il a peur. Est-il capable d’avancer à nouveau ? Il ne sera jamais plus l’homme qu’il était avant, avec sa part d’insouciance et d’enthousiasme. Il n’a plus envie de rien. Même retourner se reposer à Tarbes chez ses parents lui semble insupportable. Son père est un sale type. Un équivalent de Gandeze. Peut-être pire encore. Un sournois. Un manipulateur. Il a tué un enfant, une famille ! Il n’a pas démenti. Comment a t’il pu faire un truc pareil et devenir son père ? Il l’a envoyé promener devant Gandeze et ses affirmations… Eddy est bien son digne descendant. Mais c’est de la faute de Gandeze qui l’a maltraité pendant toute son enfance. La seule victime ici c’est bien lui, Eddy… Ou Léo, puisqu’il ne veut pas s’appeler autrement. Depuis toujours son père devait se douter que l’enlèvement de ses fils était lié à ses anciennes activités, mais il avait gardé ça pour lui. Il ne vaut pas mieux que la brute qui lui a tiré dessus.

Ses parents l’ont veillé tous les jours à l’hôpital. Quand sa mère s’absentait, son père essayait de lui parler mais Adrien tournait la tête de l’autre côté, fermait les yeux, refusant toute communication avec lui. Sa mère ne s’était rendue compte de rien.

Une femme de ménage entre, elle prend la poubelle pour la vider, se saisit de l’enveloppe.

  • Vous ne l’avez pas ouverte ?

Il regarde toujours à l’extérieur.

  • Vous ne voulez pas savoir ce que c’est ?

Elle sort un morceau de papier de l’enveloppe.

  • Y’a des malades je vous jure !

Il tourne la tête vers elle. Entre ses doigts potelés, un bout de carte déchiré. Adrien se lève d’un bond et se précipite sur elle, de stupeur elle recule. Il lui prend des mains le morceau de carte et embrasse la femme en la serrant de son bras valide.

  • Merci ! Merci !

Il tourne la carte dans tous les sens, il rit.

  • Il n’y avait pas de mots avec ? Montrez voir l’enveloppe !

Elle la déchire pour lui montrer qu’il n’y avait rien d’autre dedans. Adrien rit encore et l’embrasse. Elle sort en gloussant.

  • Vous alors !

Une fois seul, la vue d’Adrien se trouble. Les larmes qu’il n’a pas versées réclament leur dû. Il sort de sa poche son bout de carte qu’il joint à l’autre en tremblant. Eddy a tenu sa promesse. Il remet ensemble les deux morceaux dans sa poche. Il retourne s’asseoir près de la fenêtre, des larmes roulent sur ses joues, il les essuie. Ça va aller. Oui, ça va aller. Un doux sourire naît sur ses lèvres.

  • Regarde qui vient te souhaiter un bon retour !

Les parents entrent dans la chambre, accompagnés de Mady. Vincent et Mathilde constatent avec émerveillement que leur fils a l’air en forme. Adrien serre Mady contre lui.

  • Tu m’as manqué Mady. Tu peux me ramener chez moi, à Paris ?

Les parents échangent un regard stupéfait. Mathilde vient se blottir dans les bras de son fils.

  • J’ai l’impression de te voir revivre, mon chéri ! Elle lance un regard reconnaissant à Mady. C’est grâce à votre visite, Mady !

Bicalène se tient en retrait.

  • Tu devais t’installer chez nous pendant quelques temps…
  • Je sais mais j’ai changé d’avis.
  • Il faut que nous passions du temps ensemble, avec tout ce qui est arrivé ! Que nous parlions aussi de tout ça. Ça n’a pas été possible jusqu’à présent…

Adrien le regarde sèchement, retenant la colère qui lui serre la gorge.

  • Tu ne crois pas que ça peut attendre ? On n’est pas à quelques années près, non ?

Mathilde s’écarte.

  • Adrien ? Mais qu’est-ce qui te prend ?

Bicalène observe son fils avec stupeur. Adrien se radoucit face au regard perdu de sa mère.

  • Il faut que je récupère ma vie. La prod m’a proposé de reprendre quand je voudrais. Je vais me remettre au boulot. Alors Mady, tu peux me ramener ?

Mady danse d’un pied sur l’autre, gênée.

  • C’est-à-dire, c’est un peu inattendu tu comprends…
  • Tu peux ou pas ?
  • … Je ne suis pas seule…
  • T’inquiète Mady, je vais prendre un taxi.
  • Je peux t’emmener Adrien, ce n’est pas le problème. Il faut juste que tu saches que je suis accompagnée, c’est tout.
  • L’homme a la voiture rouge ?
  • …Oui.

Les parents se regardent, interloqués ?

  • C’est pas grave Mady.
  • Si tu le dis !
  • Ce n’est pas ce que je voulais dire…
  • C’est bon Adrien, tant mieux si ça ne te gêne pas. On peut te déposer si tu veux.
  • Je donne un coup de fil et on y va.

Il s’écarte et retourne à la fenêtre.

  • Labas ?… C’est Toto. L’invitation tient toujours ?

©lenferdudecor

58-Entrainement

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