34-Qui ne tente rien…

C’est une douleur lancinante qui réveille Léo. Pendant quelques instants son cerveau est confus, de violentes images se télescopent. Il se voit enfant, minuscule face à Gandeze. Il le voit qui le traîne à travers des couloirs et le jette dans un placard avec une porte tout aussi imposante qui se ferme sur lui et le plonge dans l’obscurité. Il le voit qui le roue de coups avec sa ceinture. Il se voit à douze ans, se cramponnant à une tyrolienne au-dessus d’un gouffre à la gueule obscure, il sent l’humidité et la noirceur qui en émane et Gandeze est là, derrière lui, il le tient par l’épaule. Il n’est pas menaçant, il murmure à son oreille, complice et fier de lui et Léo se lance seul au-dessus du vide, la tyrolienne l’amène sur l’autre rive. Gandeze rit et son rire résonne dans les parois rocheuses. « Je suis fier de toi Léo ! Je suis fier ! Tu es digne de Gandeze ! » Il a dix-huit ans, il est dissimulé sous un camion qui roule à vive allure. Il colle une pâte explosive entre les deux roues et lâche prise. Gandeze qui suivait derrière se précipite pour le récupérer, son regard est bienveillant. Léo est blessé, Gandeze le prend dans ses bras et le porte. Mais soudain c’est Adrien qui s’impose à lui, son visage, son propre reflet, son double dont il ne connaissait pas l’existence et qu’il a pu côtoyer de si près. Il revoit son regard surpris quand il a débarqué chez lui, son air pathétique avec le jouet dans les mains, il se revoit lui cognant la figure, il le revoit inconscient le visage en sang et le tatouage, ce tatouage semblable au sien mais incomplet. Il se demande d’où vient ce frère. Il n’a jamais imaginé qu’il puisse avoir une famille. Pourquoi ne s’en souvient-il pas ? Pourquoi n’en a-t-il jamais eu conscience ? Ses seuls souvenirs concernent Gandeze ! Il enrage. Léo entrouvre les yeux. Il voudrait se lever d’un bond et tout casser autour de lui mais il est incapable de bouger, de multiples douleurs l’étreignent et il a l’impression que son cœur bat dans son épaule blessée. Il est couché à plat ventre sur une civière. La pièce est sinistre, les murs sont sales, l’ampoule au plafond diffuse une ambiance jaune. Il écarquille les yeux et peine à voir ce qui l’entoure. Il aperçoit à travers ses cils deux silhouettes devant la porte vitrée. Les hommes discutent à voix basse.

  • Ça fait des heures qu’on est là, tu peux être sûr qu’ils nous ont oubliés. Ils ont été bouffer et nous on reste là comme des cons. On peut bien aller se prendre un sandwich et un café. On en a pour cinq minutes.
  • Et Léo ?
  • Même s’il se réveille, il va pas se tirer !

L’homme inquiet jette un œil à Léo qui a refermé les yeux.

  • Bon, d’accord… Mais on se grouille !
  • T’inquiète pas ! Qu’est-ce que tu veux qu’il fasse ?

Les deux hommes sortent. Léo rouvre les yeux. Il tente de se relever mais une corde enserre et immobilise ses poignets de chaque côté de la civière où il est étendu et la douleur qui le tenaille l’oblige à reposer la tête sur le matelas. Il étouffe une plainte. Sa blessure a été soignée, un large pansement recouvre son épaule droite mais son dos et son torse sont douloureux des coups que lui a assénés Gandeze. Il observe autour de lui sans bouger. Sa vue se rétablit peu à peu. Dans la pièce, des meubles d’un blanc douteux, certains à tiroirs, d’autres à étagères, remplis de boîtes portant des étiquettes colorées, un autre à roulettes est à côté de la civière sur laquelle il se trouve. Il fait glisser ses jambes sur le côté jusqu’à ce que ses pieds touchent le sol. Il gémit de douleur, ses jambes fléchissent, il ne tient pas debout. Il se sert de la civière pour se soutenir et la fait glisser vers un des meubles bas à tiroirs. Il passe son pied dans une poignée et ouvre. Il l’inspecte du regard. Il n’y a rien dedans qui puisse l’aider. Il ouvre ainsi d’autres tiroirs en vain. Il observe autour de lui. De l’autre côté de la pièce, il y a d’autres meubles. Il pousse la civière et s’appuie dessus pour entreprendre la même opération. Enfin dans un tiroir à sa hauteur il aperçoit un cutter. Il colle le lit contre le meuble, s’assoit sur la civière, ouvre le tiroir à l’aide de ses pieds et le renverse, pousse le cutter près de son poignet droit, courbe le dos, bloque la lame entre ses pieds. Lorsqu’enfin il réussit à la maintenir, Il frotte la corde contre. Au bout d’un moment qui ressemble à une éternité, la corde commence à s’effilocher, Léo tire de toutes ses forces, elle cède et libère son poignet droit. Il reprend sa respiration, sa main libérée défait le nœud de la corde qui retient son autre poignet prisonnier Il descend de la civière, la pousse contre la porte et met les freins. Il aperçoit une grille d’aération au sol, casse le cutter en la forçant, se glisse dans le conduit et remet la grille derrière lui. Des pas résonnent dans le couloir, une main actionne la poignée, une épaule pousse la porte qui envoie valdinguer la civière. L’un des hommes sort son talkie-walkie pendant que l’autre après un rapide coup d’œil dans la pièce se rue sur la grille d’aération, il la soulève sans peine et disparait dans le boyau.

  • Léo s’est barré dans les conduits d’aération niveau 2 ! Fred le poursuit dans la galerie !
  • Bien reçu !

Léo rampe à travers les conduits, croise des intersections, son épaule le fait souffrir et l’oblige à ralentir souvent. Après un coude, il se retrouve bloqué par une grille. Il ne peut envisager de faire demi-tour, il se doute que sa disparition a déjà été signalée et que l’étau va se resserrer sur lui très rapidement. Il est près du plafond d’une salle où sont entreposées des rangées de cartons. Il entend des voix dans les conduits. Léo donne de grands coups de pieds dans la grille qui vole à travers la pièce. Il se jette sur les cartons qui amortissent sa chute. Il dévale jusqu’en bas, atteint la porte, l’entrouvre. Il entend des voix et des échanges par talkie, il s’élance dans le couloir. Des caméras de surveillance bougent avec lui. Léo tente d’ouvrir chaque porte qu’il rencontre. Il pénètre dans un bureau désert avec une fenêtre fermée par un volet métallique. La fenêtre refusant de s’ouvrir, il balance la chaise dans les vitres qui se brisent dans un vacarme épouvantable. Léo n’a plus rien à perdre, il a conscience qu’ils savent exactement où il est et qu’ils vont lui tomber dessus. Il se rue sur le bureau, vide les tiroirs, tombe sur un stylo qu’il casse, une règle suit le même sort. Il attrape un barreau de la chaise cassée et arrive à forcer l’ouverture. Une alarme stridente se met en marche. Il ouvre le volet en même temps qu’un groupe d’hommes mené par Gandeze entre dans la pièce. Léo monte sur le rebord de la fenêtre, jette un œil dans le vide, constate qu’il doit être au premier étage.

  • Arrête Léo !

Léo affiche un sourire ironique.

  • J’me casse ! Tu m’excuseras, j’ai trouvé l’accueil moyen ici.

Ted écarte les bras pour dissuader les autres d’avancer.

  • Fais pas le con !
  • On m’attend pour dîner !

Sans le quitter des yeux, Léo enjambe le rebord, il lui fait un signe d’adieu et saute dans le vide. Il entend Gandeze interdire à ses hommes de tirer. Il fait un roulé-boulé et s’enfuit en traînant la jambe. Sam surgit de l’ombre.

  • Je suis là ! La moto nous attend !
  • Non Sam ! Tire-toi !
  • Je vais t’aider !

Léo s’arrête net.

  • Je me suis foulé la cheville, on n’y arrivera pas. Disparais avant qu’ils arrivent. Il pousse Sam. Va te planquer ! Va voir mon frère !
  • Je ne vais pas te laisser.
  • Si ! Dégage !

Il le pousse brutalement. Sam part en courant et disparait dans la nuit. Léo bifurque et se faufile à l’intérieur d’un bâtiment. L’entrepôt est vide, nulle part pour se dissimuler, trop tard pour faire demi-tour, il s’élance pour le traverser. Il entend derrière lui la porte s’ouvrir, des cris et des pas de course. Il n’a pas atteint la porte du fond qu’il est rattrapé. Ils se jettent sur lui, l’immobilisent face contre terre et entreprennent de lui ligoter les poignets dans le dos. Ils le relèvent et font le chemin inverse. A l’extérieur, Gandeze est en communication téléphonique. Il raccroche. Les deux hommes échangent un regard chargé de mépris pourtant Ted s’adresse à Léo avec une pointe de regret.

  • C’est comme ça que tu me remercies pour tout ce que j’ai fait pour toi ?

Léo souffre, il a du mal à articuler.

  • Tu plaisantes ?

©lenferdudecor

35-Chez les Bicalène

Retour à l’accueil

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.