Mathilde rejoint son mari au salon.
- Où est Adrien ?
Celui-ci revient avec une tasse de café.
- Tu en voulais maman ?
- Non mon chéri, je ne pourrai pas dormir si j’en prends un.
Adrien s’assoit en face d’eux.
- Papa, maman, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
- La mauvaise on la devine, tu veux parler de l’agression dont tu as été victime. La bonne c’est quoi ?
- Tu as raison papa, c’est un peu ça.
Adrien boit un peu de café. Ses parents l’observent, anxieux. Cet enfant devenu unique, tellement courageux d’avoir supporté la douleur de ses parents, avec aujourd’hui ses traits marqués, cette lèvre coupée, cette joue violacée, cet œil abimé, ce regard étrange… Comment supporter qu’il puisse souffrir ? Cet enfant adulé, agressé, bousculé. Il ne faudrait pas qu’il soit en danger.
- La bonne nouvelle, c’est qu’Eddy est vivant.
Ses parents ne réagissent pas. Son annonce fait l’effet d’un pétard mouillé. Le regard de Mathilde se perd dans la végétation du jardin éclaboussée par la lumière du salon. Vincent se penche vers Adrien.
- J’imagine que tu te rends compte de ce que tu es en train de nous dire !
Malgré ses efforts, les yeux de Mathilde se brouillent, deux grosses larmes coulent sur ses joues. Vincent prend ses mains dans les siennes. Adrien leur montre les marques sur son visage.
- C’est lui qui m’a fait ça. Lui et son complice. Ils restent sans voix. C’est lui qui m’a trouvé, qui est venu chez moi. Ce n’était pas les retrouvailles auxquelles je m’attendais.
- Tu veux nous faire croire que c’est lui qui t’a frappé ?
Subitement Adrien a l’impression d’avoir le mauvais rôle.
- C’était le but de sa visite !
- Je ne comprends rien à ce que tu nous dis !
Mathilde est prise de tremblements.
- Il m’a expliqué que je le dérangeais dans son business, que voir ma tronche à la télé nuisait à ses affaires.
Adrien, face à leur mine perdue, éclate de rire et se lève.
- Elle est pas bonne celle-là ? Non mais vous imaginez ?
Il se tourne vers eux. Ils n’ont pas l’air de comprendre. Le choc et l’incompréhension… Quoi de plus normal ? Adrien revient s’asseoir près d’eux.
- Je ne sais pas qui est Eddy ni ce qu’il trafique… Il n’a rien à voir avec la personne que vous auriez pu espérer retrouver. C’est un sale type.
- Ça ne peut pas être ton frère ! Nous l’avons cherché. Il ne peut pas surgir comme ça.
- Ton père a raison. Ce n’est pas possible que ce soit Eddy.
- Je comprends votre réaction… Pourtant il a juste pris la peine de débarquer chez moi pour me menacer ! Il veut que je disparaisse, c’est pas un comble ça ?
- Ce que tu es en train de nous dire, c’est que tu as réussi, Adrien. C’est ce que tu voulais, retrouver ton frère. Animer cette émission t’a rendu ton frère !
- Il ne t’a pas parlé de nous ?
Il éclate de rire.
- Atterris maman ! C’est un étranger tu comprends ?
Malgré ses efforts pour dissimuler son chagrin, la voix d’Adrien a tremblé sur ces derniers mots.
- J’ai essayé de discuter, d’éveiller des souvenirs, il ne veut rien savoir, ce qu’il veut c’est que je redevienne invisible, comme lui jusqu’à présent. Il n’a manifestement aucun souvenir de nous. Il doit faire du trafic et notre ressemblance lui pose problème.
- Il t’a laissé un numéro de téléphone ?
Adrien renverse sa tasse. Il sort un mouchoir de sa poche, tamponne la tâche.
- Non, il ne m’a pas laissé son téléphone, il m’a juste laissé la tronche telle que vous la voyez là !
- La police… ?
- Lui et son pote me sont tombés dessus alors que j’entrais dans mon apart. Je leur ai dit qu’ils voulaient me cambrioler… sans mentionner Eddy bien sûr.
- Et ils ont gobés ça ?
- Pourquoi pas ?
- Ils t’ont cassé la figure et sont repartis les mains vides…
- Je m’en fous qu’ils me croient ou non.
- Et dans le parking du studio, qu’est-ce qui s’est passé ?
- Des types voulaient que je leur rende un truc.
Le père, soucieux, se lève et arpente le salon.
- Il est en danger, ces types vous ont confondus. Eddy s’est arrangé pour t’écarter afin de te protéger…
- En me cognant dessus ?
- Il voulait éviter que tu sois à nouveau pris pour cible à sa place.
- Tu as raison sur un point. Les types dans le parking en avaient probablement après lui et c’est moi qui ai dérouillé. Mais permets-moi de te dire que tu as une vision romanesque d’une situation qui ne l’est pas. J’admire ta façon de voir, de transformer le moche en beau, le sale en propre, mais tu te trompes papa. Ce type n’agit que pour lui-même.
- Pourquoi ton père ne pourrait-il pas avoir raison ?
- Parce que je l’ai eu en face de moi, ce mec. Qu’est-ce qui l’aurait empêché de me serrer dans ses bras et de se confier à moi, de m’expliquer sa situation. « J’ai fait un casse, je me planque, arrête ton émission quelques temps… » J’aurais tout arrêté pour lui sans aucun regret ni état d’âme. Au lieu de ça, il vient avec un pote pour me menacer et me casser la gueule alors surtout, ne rêvez pas !
Les parents regardent leur fils dont les traits du visage se sont durcis. Son père pose ses mains sur ses épaules.
- As-tu l’intention de reprendre le tournage de tes émissions ?
- Dans deux semaines maximum, avant si c’est faisable ! C’est ma seule chance de peut-être le croiser à nouveau ! Vu ses activités, il ne doit pas être facile à trouver.
- Est-ce que… vous vous ressemblez toujours ?
- D’apparence oui, maman. D’apparence seulement !
©lenferdudecor