premier jour de tournage

1-Premier jour de tournage

Le générique du début de l’émission s’achève et dévoile un décor psychédélique au milieu duquel trône, dans un fauteuil en forme de nid, Adrien Bicalène. Des cubes multicolores, des oiseaux bariolés, un drôle de tricycle jaune et des poupées japonaises habillent le décor joyeux, surprenant contraste avec l’entourage technique, terne, gris et noir. A presque trente ans, il présente pour la première fois une émission de télévision après avoir animé avec un certain succès un programme chez Binss Radio. Vêtu d’un costume sobre, il broie ses fiches en arborant un sourire doux.

  • Je suis très heureux de vous retrouver en direct sur cette nouvelle émission…

Une voix interrompt l’animateur.

  • Coupez !

Adrien laisse tomber quelques fiches qu’il ramasse de suite. Il va pour parler mais l’assistant lève une main apaisante et semble écouter quelqu’un dans son casque.

En régie, le réalisateur Marc Labas marmonne. Il s’est levé et soupire en appuyant sur le bouton qui ouvre les ordres sur le plateau.

  • Tu sais bien que nous ne sommes pas en direct, Toto !

Il enchaîne avec un rire gras qui fait grimacer Adrien. Abigail Bergame, la scripte en régie avec le réalisateur ne peut s’empêcher de lancer :

  • Ça non, nous ne sommes pas en direct ! Ça se saurait !

Elle écarte avec douceur une mèche de ses cheveux châtain retenus par un crayon en un chignon désordonné et raye « dixième prise ». Certains souhaiteraient enlever ce crayon pour libérer le flot rebelle et chatoyant. Elle lève vers Labas ses mélancoliques yeux sombres et l’interroge du regard.

Marc Labas est un réalisateur célèbre et reconnu dans la profession mais il n’en joue pas, il aime son travail et s’amuse. Du fait de son rôle déterminant, il est un peu le papa de tout le monde qui ramène les brebis égarées dans le droit chemin. Il est fantasque, drôle, bienveillant et décontracté, il porte chaque jour un éternel pull bleu et des baskets. Marc Labas observe ce qu’a écrit sa scripte, songeur.

  • Comment est-ce qu’il a pu dire une connerie pareille ?

Abigail change de feuille et inscrit « onzième prise ».

  • Sa quotidienne à la radio était en direct !

Adrien est dépité. Il a été choisi parmi de nombreux postulants. C’est son premier jour de tournage et il mesure à quel point la peur lui fait dire des énormités. Il regrette d’être là et pourtant il ne cèderait pas sa place pour tout l’or du monde. Ses yeux clairs se perdent dans ses fiches.

  • Je sais bien que nous ne sommes pas en direct. Désolé les gars…

Les cadreurs l’observent, goguenards. Terry Fonssar l’assistant, grand gaillard toujours vêtu de noir, pose une main chaleureuse sur l’épaule d’Adrien. Il porte bien son nom car il est fonceur, efficace et très organisé.

  • Un conseil, évite de t’excuser ça fait mauvais genre.

Adrien sourit largement pour la première fois.

  • C’est la meilleure celle-là !
  • Jamais aucun signe de faiblesse, okay ?

La sonnerie d’un portable retentit. Des techniciens sur le plateau palpent leurs poches, inquiets. Adrien fouille dans sa veste et sort son téléphone qui affiche « Maman ».

  • Bonjour maman !
  • Bonjour mon chéri. Je voulais te dire que nous pensons à toi !
  • C’est gentil.

Il se lève, se faufile derrière les caméras et passe de l’autre côté des pans du décor. En régie, Labas se prend la tête dans les mains.

  • Non mais je rêve ! Il se redresse. Si on me cherche…
  • Tu es à la machine à café, je sais ! Abigail lui sourit. Vas-y je te tiens au courant.

Adrien longe le mur gris du plateau pour s’éloigner du tournage. Le contraste est frappant entre l’îlot aux couleurs vives encadré de panneaux peints et les coulisses sans vie. Sa mère reprend.

  • Tu as bien dormi ?

Adrien fronce les sourcils en repensant aux cauchemars qui ont peuplé sa nuit. Il baisse la voix.

  • Je ne pensais pas que je serais stressé à ce point, ça me fait dire n’importe quoi.
  • Ça va aller, j’en suis sûre.
  • Je n’ai aucune expérience de la télévision. C’est Marc Labas qui réalise. Les « Trophées Jaguar et Chambon » c’est lui, la série « Piano » et « Du vent sur la tamise »… C’est lui !
  • Je sais mon chéri mais souviens-toi sur Binss Radio, tu étais en direct alors que tu débutais. Ça c’est tellement bien passé que tu travailles aujourd’hui avec monsieur Labas !
  • Merci maman. Durant cette interminable journée, je penserai à ce que tu m’as dit à chaque fois que je dirai une connerie.
  • Je suis fière de toi, Adrien. Il n’y a qu’une chose que je regrette, tu le sais.
  • Arrête ! Ce n’est pas le moment d’en parler !
  • Si justement ! Adrien réprime un tremblement, son cœur résonne dans sa poitrine. Je voudrais tant que tu le fasses pour toi Adrien, tu le mérites ! Rien que pour toi, et pas pour Eddy. Eddy est…
  • Tais-toi !  Il a crié et l’intonation de sa propre voix lui a fait mal. Terry l’assistant sur le plateau, a relevé la tête surpris, les cadreurs ont échangé un regard.
  • Je t’en prie mon chéri, laisse derrière toi…
  • Maman… Pas toi…

Il a baissé le ton, implorant, sa voix s’est étranglée.

  • Pardon Adrien. Je regrette, il faut…
  • Il faut que j’y aille.

Adrien raccroche et éteint son portable. Il reste un instant les mains crispées sur son téléphone, le regard perdu. Il prend une grande inspiration et regagne d’un pas vif le décor de l’émission.

©lenferdudecor

                                                                                              2-Le traumatisme d’Adrien

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