Dans la régie, le réalisateur Marc Labas sirote son café. Il se penche avec tendresse vers Abigail, sa scripte.
- C’est une plaie ce gars-là, non ?
Abbie lui enlève une peluche sur son éternel pull bleu marine.
- J’aimais beaucoup son émission à la radio.
- Moi aussi. Il s’appuie contre le dossier de son fauteuil. Mais ça c’était hier. Aujourd’hui, on n’est pas sorti de l’auberge…
Une petite voix se fait entendre derrière eux.
- Moi je suis volontaire pour entrer dans l’auberge. Il est tellement mignon !
Labas et Abigail se retournent stupéfaits. Des mèches blondes dépassent de derrière le pupitre du poste de production. Labas s’adresse à Abbie en se relevant pour essayer de voir la personne qui se tient là.
- Qui a parlé ?
- Je pense que c’est Daisy, notre assistante de production.
Daisy se dresse avec un grand sourire, un téléphone portable dans chaque main.
- Oui c’est moi. Je disais…
Une voix l’interrompt.
- Vraiment Marc !
Rosa, l’habilleuse vient se poster derrière Labas. Elle le connait bien, elle travaille régulièrement avec lui.
- Tu ne crois pas que nous aurions dû lui mettre une chemise qui ait plus de caractère ? Cette chemise jaune paille…
- Mais non, il est mignon. Il ne peut pas ressembler à un poussin, il porte une veste.
- Tout de même…
- C’est la première émission, on la joue soft, le décor suffit. Il faut laisser le téléspectateur s’installer, on verra par la suite.
Rosa reste dubitative. Ils observent Adrien sur les écrans de contrôle. Marc reprend.
- Et puis franchement, si tu lui mets une chemise qui a du caractère, on aura l’impression qu’il n’y a personne dedans ! Il prend la scripte à témoin. C’est drôle non ?
Abbie hausse les épaules. Un stagiaire propose à Adrien une tasse de café que celui-ci accepte volontiers. En le touillant, Adrien en gicle sur sa chemise. Fataliste, Labas se lève de son fauteuil et s’adresse à Rosa.
- Bon, on dirait que tes prières ont été entendues ! Mets-lui ce que tu veux mais pas du rouge, pas du fuschia, pas du bleu, pas du violet, pas…
Rosa quitte la régie en courant.
- Et on se dépêche ! Si on pouvait avoir au moins une bonne prise avant le déjeuner, ça m’éviterait des remontées gastriques. Il se penche vers Abigail. Si tu es libre ce soir, on pourrait dîner ensemble.
Terry regarde de travers le stagiaire qui se sent du coup fautif et disparait. Il aide Adrien à enlever sa veste et la regarde à la lumière des projecteurs.
- Par chance ta veste a été épargnée. Si tu veux, va dans la loge changer de chemise.
Une porte claque. Des pas précipités. Rosa arrive déjà en trottant avec, sur un cintre, une chemise écrue qui flotte comme un étendard. Sans perdre un instant, Adrien se débarrasse de sa liquette. Terry aperçoit un tatouage sur le torse d’Adrien.
- Tiens, c’est quoi ça ? Le prénom de ta fiancée ?
- De quoi je me mêle !
Le ton de sa voix est sec, on pourrait croire que ce n’est pas lui qui a parlé. Terry n’a pas le temps de lire l’inscription, Adrien lui tourne le dos et se retrouve face aux caméras. Marc Labas rit, bon enfant.
- Tiens, il a un tatouage ! Ça doit être écrit « A ma maman » !
Adrien referme sa chemise. La maquilleuse le recoiffe et le repoudre. Terry, gêné d’avoir fait une remarque qu’Adrien a mal prise, observe sans mot dire le regard buté de l’animateur. Rosa lui prend le bras.
- Demande à Marc si une chemise écrue ça lui va.
En régie, Daisy l’assistante de production, regarde les écrans avec ses grands yeux candides. Elle est de taille moyenne, fine, perchée sur d’éternels talons hauts, elle a de longs cheveux blonds ondulés, est soigneusement maquillée et toujours vêtue d’un tailleur qui met en valeur sa silhouette agréable. Elle est loin d’être idiote, mais elle manque d’expérience et n’a aucune maturité.
- Je me demande bien pourquoi il s’est fait tatouer un truc aussi nul ?
Daisy a rejoint la scripte. Labas la regarde étonné.
- Quoi ?
- « Seul repose en paix »
- Tu as réussi à lire ça, toi ?
- Evidemment !
Labas s’adresse à Abigail.
- Fais-moi penser à prendre un rendez-vous chez l’ophtalmo !
Adrien, cramponné à ses fiches, va s’asseoir et prend une grande inspiration. Labas lance à la cantonade.
- Tout le monde en place ! Les portables sont éteints, les cafés vidés et la chemise écrue me convient Rosa !
Terry s’adresse à Adrien qui relit ses fiches.
- C’est bon pour toi ?
Adrien relève la tête, soucieux.
- Comment j’ai pu dire qu’on était en direct ?
- C’est rien, ça arrive.
Adrien lui lance un regard reconnaissant.
- Ah oui ? T’as déjà vu ça ?
Embarrassé, Terry s’adresse à la régie par l’intermédiaire de son micro casque.
- Nous sommes prêts sur le plateau.
En régie, l’opérateur magnéto attend le feu vert du réalisateur qui se tourne vers lui « Moteur » ! Il appuie sur deux boutons de deux magnétos et vérifie qu’ils sont bien enclenchés. Des chiffres défilent sur l’image des moniteurs. A ce moment il annonce d’une voix tonitruante et fière de lui comme s’il venait d’accomplir un exploit « Ça tourne ! » au réalisateur qui sursaute et le foudroie du regard.
- On n’est pas sourds tout de même !
Une lampe rouge s’allume en régie et à l’entrée du plateau. Le réalisateur s’adresse à l’ingénieur du son.
- C’est quoi déjà ton prénom ?
- Pierre-Olivier.
- Pierre-Olivier, Toto a toujours son oreillette ?
- Je crois
- Sois gentil Pierre-Olivier, dis-moi « oui » ou dis-moi « non », mais pas « je crois, peut-être il me semble que c’est possible » ! Il s’adresse à l’oreillette d’Adrien. Tu as ton oreillette mon Toto, l’ingénieur du son n’en est pas sûr, tu conviendras que c’est un comble mais je crois qu’aujourd’hui plus rien ne peut m’étonner !
Adrien ne peut s’empêcher de sourire en l’écoutant.
- Oui oui, je vous entends.
Labas se tourne vers Pierre-Olivier et lui montre son oreille.
- T’as entendu ? Il a son oreillette !
L’ingénieur du son soupire, contrarié. Labas s’adresse de nouveau à Adrien.
- Ça ne t’ennuie pas de confier tes fiches à Terry, on se croirait sur le radeau de la Méduse ! ©lenferdudecor 4-Où sont les enfants?.. Retour à l’accueil