Adrien, une casquette noire vissée sur la tête dissimulant ses traits, parcourt rapidement un journal. Le titre en gras annonce « Qui consolera Adrien Bicalène ? » L’article relate les évènements de la veille. On voit une photo de lui, le visage tuméfié, assit par terre sur la terrasse. Il jette le journal dans la poubelle sans s’attarder davantage. Adrien termine de ramasser ses affaires. La loge est redevenue impersonnelle, inhabitée. Il jette un dernier coup d’œil sur le miroir qui reflète son visage abîmé. Son portable sonne. Abbie qui passait par le couloir, ralentit en l’apercevant dans sa loge et tend l’oreille.
- Oui … Justement je voulais vous en parler…Je vais bien ne t’inquiète pas… Non je ne sais pas. Je ne veux pas en parler ni maintenant, ni par téléphone. Je prends le train de ce soir… Oui maman… J’arriverai à Tarbes vers vingt-trois heures… Non, dis à papa de ne pas venir me chercher, ce n’est pas la peine… D’accord… Si vous êtes fatigués, planquez la clef comme d’habitude, on se verra demain… Bon si tu veux… Non maman, je t’en prie arrête de t’inquiéter. Arrêtez de lire les conneries qu’ils écrivent dans les journaux, ça vaudra mieux… Je vous embrasse, à tout à l’heure !
Il raccroche. Abigail, après avoir écouté la conversation téléphonique, disparait du couloir sans faire de bruit. Elle croise Terry sans le voir. Il la suit des yeux avec stupeur et poursuit son chemin. Il tombe sur Adrien qui sort de sa loge.
- Ils sont en réunion à la prod.
- Ils vont certainement faire appel à Yvan Pervier.
- La décision va être prise très vite. Ils vont devoir convoquer un coach pour lui faire travailler sa diction, son intonation est déformée par l’habitude des news.
- Moi au début, ce n’était pas brillant non plus.
- Peut-être, mais c’était le démarrage. Maintenant ça roule. L’émission a trouvé son public. Ce n’est pas dit qu’ils aient envie de continuer à regarder si on leur change leur animateur préféré pour un excité qui va leur présenter un JT !
Adrien rit de bon cœur.
- Tu es un mec bien Terry. Un peu chiant par moment, mais un mec bien.
- C’est un coup dur pour tout le monde.
- Je suis désolé de vous mettre dans une situation pareille.
- Ils te remplacent à contre cœur. C’est l’affaire d’une semaine ou deux et tu reviendras parmi nous.
Adrien ne lui répond pas. Il ne sait pas s’il aura envie de revenir. Il ne sait pas si son remplaçant ne deviendra pas le présentateur de l’émission et lui, juste une parenthèse. Il tend une main ferme à Terry.
- Je vais rendre visite à mes parents. Je suis joignable sur mon portable.
- Je te tiens au courant.
Adrien s’éloigne avec ses affaires sous le bras. Terry le regarde s’éloigner. Il ferme la loge, part dans la direction opposée et tombe sur Abigail.
- Tu me snobes Abigail ?
Elle tourne la tête, surprise et lui sourit doucement.
- Qu’est-ce que tu dis ?
- C’est la deuxième fois que tu me passes devant le nez comme si j’étais transparent.
- Je suis désolée, je ne t’ai pas vu !
- Tu sais ce qui se passe pour l’émission ?
- Oui je sais. Ils cherchent un remplaçant.
- Ça n’a pas l’air de te contrarier.
Elle sourit béatement, elle a l’air sur un petit nuage.
- Si si. Bien sûr que si.
- On ne dirait pas ! Qu’est-ce qui te rend aussi joyeuse ?
- Un truc super.
- Et c’est quoi ?
- Je prends le train ce soir.
- Ah oui ? C’est marrant, ça ne me met pas dans cet état, moi !
Abigail acquiesce, amusée. Terry n’a pas l’intention de la laisser filer aussi facilement, il la retient par le bras.
- Et quelle est cette destination qui te rend si…
- Ne te moque pas de moi s’il te plaît.
- Je veux bien y aller moi aussi !
Elle rit.
- C’est pas gentil de se moquer !
Terry soupire. Pourquoi prend-elle pour une blague cette petite remarque anodine qui enferme tout son désir de l’inviter à sortir. Qu’importe si elle a une relation avec Labas après tout, il est trop vieux pour elle. Au moins Abbie et lui ont-ils à peu près le même âge. Il est sûr qu’ils s’entendraient bien. Pourquoi les filles ne le prennent-elles pas au sérieux ?
©lenferdudecor