Le tournage est terminé. Toute l’équipe s’est dispersée. L’ambiance était excellente et chacun a dorloté l’animateur enfin de retour. Abigail trie les conducteurs pour le lendemain, le coeur lourd, désemparée. Il ne lui a pas parlé. Il ne lui a rien demandé. Au lieu de ranger ses affaires, elle retourne des feuilles, griffonne, triste et songeuse. Daisy entre dans la régie, le portable coincé dans le cou.
- Non Méla, pas ce soir. Tu sais, Adrien Bicalène… Oui. Et bien il m’invite à boire un pot ce soir… Je sais, j’ai trop de chance ! Je te laisse il m’attend !…Oui. Tchao.
Daisy ramasse son sac, sa veste et sort, elle croise Labas qui rejoint Abigail. Il prend son blouson.
- Pourquoi as-tu demandé à Daisy d’apporter les conducteurs à Toto, tu ne pouvais pas le faire toi-même ? Je croyais que vous étiez amis ?
Elle lève les yeux sur Labas et triture son crayon.
- Moi aussi je croyais.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Il m’ignore, il me snobe… Appelle ça comme tu voudras.
- Et pourquoi ?
- Je ne sais pas. Peut-être qu’il m’en veut.
- Pourquoi voudrais-tu qu’il t’en veuille ?
- Comment veux-tu que je le sache ?
- Toi aussi tu le snobes, tu l’évites ! Vous vous parliez avant…
- Oui mais ça a changé, je ne sais pas pourquoi.
- Je vais aller lui parler moi.
- Je t’interdis bien de lui dire quoique ce soit.
- Et pourquoi ?
- Mais parce que je suis assez grande et puis il n’a de compte à rendre à personne.
- J’ai l’impression que tu fuis Toto ! Je croyais que tu l’aimais ?
Elle se tourne vers l’entrée de la régie.
- Ne parle pas si fort s’il te plait.
Il se penche vers elle et murmure.
- Je croyais que tu l’aimais.
Abbie ne répond pas, elle crayonne. Il s’assoit à côté d’elle et lui prend son crayon.
- Quand on aime, on le dit, on l’exprime. C’est ce que font les gens normaux.
- Je ne suis pas normale !
- C’est ce que je vois. Ça ne vient ni de ta mère ni de moi car je peux te dire que…
- Il ne m’aime pas. Toutes les filles lui courent après alors moi tu sais…
- Il faut que tu lui parles ma chérie, comme ça tu seras fixée.
Elle le regarde enfin.
- Je ne saurai pas faire ça.
- Tout le monde le fait ! Pourquoi pas toi ?
- Je fais avec lui tout le contraire de ce que je voudrais. Je suis incapable de me conduire normalement quand il est là. Je voudrais aller vers lui, lui parler, et j’en suis incapable, juste capable de faire demi-tour va savoir pourquoi … Je suis lâche !
- Je te rappelle que tu as pourtant pris un train si je me souviens bien, pour être avec lui. C’était dingue !
- Oui c’est le mot, c’était complètement dingue !
Elle rit en se remémorant son aventure à Tarbes.
- Comment est-ce que j’ai pu faire un truc pareil !
- Tu regrettes ?
- Mais non, je ne regrette pas. Je suis contente d’avoir eu ce culot, j’y pense souvent même. C’était génial !
- Alors qu’est-ce que tu attends ?
- Tu veux que je prenne le train ?
Ils rient tous les deux. Elle lui reprend son crayon qu’elle range dans sa trousse.
- De toute façon, autant l’éviter, autant que ça se passe comme ça. Dans le magazine Pipole, on le voyait à sa sortie de l’hôpital, avec ses parents et son ex copine. Ils se sont réconciliés.
Labas n’abandonne pas.
- La petite soirée que nous avons passé chez moi, avec lui et Maxime, était pourtant sympa… J’ai bien remarqué que vous ne vous étiez pas parlé, mais il est venu… Il est venu seul.
- Il est venu pour toi, papa. Il n’est pas venu pour me voir. Tu as toi-même remarqué que nous ne nous étions pas parlés de toute la soirée. Même quand il est passé en régie tout à l’heure, il m’a ignorée. Je suis devenue transparente. C’est comme ça, c’est tout.
Elle range ses affaires dans son sac, lève des yeux reconnaissants vers son père.
- Je te remercie d’être là. C’est réconfortant de t’avoir près de moi.
- Tu sais bien que je suis toujours là pour ma petite fille. Il la serre dans ses bras. On va le boire ce pot ?
- Quel pot ?
- Celui de Toto. Il nous invite au café d’en face pour fêter la reprise du tournage. Ils y sont déjà tous.
- Il invite toute l’équipe ?
- Oui toute l’équipe.
- Je ne savais pas.
- Toute l’équipe sauf toi bien sûr !… Je plaisante Abbie ! Allez sors de ta bulle !
Il fait ses gros yeux à la Groucho Marx. Elle sourit malgré elle.
- Arrête de faire le clown, tu ne me fais pas rire !
- Bien sûr que si !
- Vas-y je te rejoins mais je ne ferai que passer.
- Si Toto me demande si tu viens, je lui dis que tu arrives.
- Il ne te demandera rien.
Labas embrasse Abbie.
- Allez dépêche-toi de nous rejoindre, espèce de sauvageonne !
Elle le regarde disparaître. Elle sait qu’elle n’ira pas, parce que son cœur est trop lourd à porter et qu’elle n’a pas envie de faire d’effort.
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