Labas descend de son vélo essoufflé, il continue la montée à pieds en le poussant devant lui. Il s’arrête un instant pour reprendre son souffle. Une Mini Cooper jaune ralentit à sa hauteur.
- Je vous dépose ?
Labas se penche et aperçoit l’assistante de production Daisy, le sourire enfantin et les joues rouges.
- Vous avez l’air épuisé !
- Bonjour Daisy. Non non, je ne suis pas du tout épuisé !
- Voulez-vous monter avec moi ?
Labas regarde Daisy, son vélo, sa voiture.
- Je veux bien monter, Daisy, mais c’est ta voiture qui ne veut pas !
- Pardon ?
- Où veux-tu que je case mon vélo dans ton charmant pot de yaourt ?
Daisy rit de bon cœur.
- Vous n’avez qu’à laisser votre vieux biclou ici. Je vous assure que personne n’aura l’idée de vous le voler !
- Dis donc, je te trouve bien désagréable ce matin !
- Allez Marc, ne faites pas votre mauvaise tête. La côte est rude. Je vous dépose mais vous avez raison, lui là …
Elle montre le vélo rouillé.
- Lui là, il reste là, y’a pas de place !
- Ne t’inquiète pas pour moi, j’arrive !
Il se remet en selle et décoche un sourire à Daisy.
- Allez, en route ! Je t’attends en haut !
Daisy rit et le laisse partir. L’effort le fait quelque peu zigzaguer, Daisy le double en klaxonnant. Il arrive en haut de la côte en nage. Il jette littéralement son vélo dans le parc à vélo comme s’il en était dégoûté à vie et entre dans le hall des studios, haletant et en sueur. Daisy, en train de se repoudrer en attendant l’ascenseur, lui lance un regard moqueur.
- Vous faites ça tous les jours ?
Il reprend son souffle.
- J’ai prêté ma voiture à ma femme.
Elle le regarde scandalisée.
- Votre femme n’a pas de voiture ?
- Elle est en révision. Et de quoi je me mêle ?
- Vous auriez pu prendre le métro, ou le bus.
Il lui lance un regard exaspéré. Elle continue.
- Ou un taxi. Il y en a plein, des taxis dans Paris.
- Ça te dérange que je fasse du vélo ?
- Moi ce que j’en dis…
Ils entrent tous les deux dans l’ascenseur. Daisy boude en regardant ses ongles rouges, son regard est attiré par deux pinces à vélo hideuses qui remontent le pantalon de Labas au-dessus de la cheville, découvrant ses chaussettes blanches et donnant à l’ensemble une allure minable. Elle ne peut s’empêcher de sourire. Elle feint de donner un appel et le laisse passer devant à la sortie de l’ascenseur. Elle l’observe en riant. Il a la démarche dégingandée, le pantalon remonté par les pinces à vélo, le pull trop large qui dépasse du blouson, le jean détendu… comme lui. Elle le suit jusqu’au bureau de production. De Ponchartrain, assis derrière son bureau, accueille Labas avec un grand sourire.
- Enlève tes pinces à vélo, mon vieux ! On sait que tu es sportif !
Labas se laisse tomber dans le fauteuil en face de lui et retire les pinces qu’il jette dans la poubelle.
- C’est la première et dernière fois que je viens à vélo.
- Je vois que les bonnes résolutions ont une fin prématurée !
- Je n’ai jamais eu ce genre de bonnes résolutions !
Il se sert un verre d’eau qu’il engloutit d’une traite.
- Qui as-tu booké pour aujourd’hui ?
- Gabrielle Derien. Tu connais ?
- Et toi ?
- Non plus.
- On verra. Elle est libre demain aussi ?
- On confirmera dès que tu auras eu Abigail.
- Je ne sais pas ce qu’elle fabrique au juste. Elle est partie à Tarbes sur un coup de tête !
- A Tarbes ? Adrien n’est pas parti lui aussi à Tarbes, rendre visite à ses parents ?
- Comment veux-tu que je le sache ?
Daisy en fait tomber son sac par terre. Terry entre en coup de vent.
- Salut la compagnie ! Où est Abigail ?
- Ce n’est pas elle aujourd’hui. C’est Gabrielle…
Labas prend un dossier que de Ponchartrain lui tend.
- Derien !?
Labas surpris, se tourne vers Terry qui insiste.
- C’est Gabrielle Derien qui remplace Abigail ?
- C’est ça. Tu la connais ?
- Oui ben ça promet une bonne journée en perspective ! Elle arrive à quelle heure ?
- Elle devrait être là.
- Elle a dû se perdre dans l’ascenseur !
Labas choqué se redresse.
- On ne se perd pas dans un ascenseur !
- On en reparlera !
Il sort en trombe. Labas et de Ponchartrain restent dubitatifs mais préfèrent se taire. Un léger grondement se fait entendre.
- Kiwi pas bouger !
Labas lève les yeux de son dossier alors que de Ponchartrain consulte des manuscrits.
- Quoi, Kiwi ?
- Je lui dis de rester tranquille.
- Tu ferais mieux de le bouffer !
- C’est un chien, idiot !
- Première nouvelle !
Le grondement se fait un peu plus insistant. A ce moment Labas se penche et aperçoit deux yeux brillants sous le bureau. Dans un réflexe il ramène ses pieds sous son fauteuil.
- C’est quoi ce fauve ?
- Je te présente Kiwi, la terreur des mollets.
Comme s’il avait par là-même acquis la permission de son maître, le chien sort de dessous le bureau et aboie joyeusement après Labas qui tend la main vers lui pour tenter une caresse.
- Kiwi ! Non mais quelle idée ! Pourquoi pas goyave ou banane… Et d’où vient-il ?
- Kiwi est un basset hound du haras de Piscop.
- Ça en jette ! C’est bien la peine d’être tout ça si c’est pour s’appeler Kiwi.
- Fais gaffe, il n’a aucun humour !
Labas caresse le chien qui, aux anges, se met sur le dos et pédale les pattes en l’air.
- Je suis petsitter juste pour la matinée. Mes voisins n’avaient personne pour le garder et Kiwi ne supporte pas la solitude.
- Tu n’es même pas vert gentil chienchien !
- Méfie-toi quand même, il est un peu caractériel.
- J’ai jamais été mordu par un kiwi moi monsieur.
Le chien, comme s’il comprenait, pince la main de Labas entre ses crocs, se remet sur patte et court se cacher sous le bureau. De Ponchartrain ne peut s’empêcher de ricaner.
- Ne dis pas que je ne t’avais pas prévenu !
Labas secoue la main en soufflant dessus.
- Je ne la sens pas du tout cette journée. Je ferais peut-être mieux de rentrer chez moi en taxi.
©lenferdudecor