51-Un traître

Bicalène se gare derrière les arbres. Sam est soucieux.

  • La grille est ouverte…

Vincent se tourne vers lui.

  • Ça veut dire ?
  • Ils sont peut-être partis.
  • Partis ? Tu te fous de moi ? Mais pourquoi seraient-ils partis ?
  • Je ne sais pas… On ne reste jamais longtemps au même endroit.

Ils sortent de la voiture. André les arrête.

  • On va se disperser.
  • C’est pas une bonne idée. Nous serons plus forts ensemble.

Bicalène pose une main ferme sur l’épaule de son fils.

  • Ecoute André, il a de l’expérience. On fait ce qu’il dit. Chacun prend une direction et visite ces foutus entrepôts. De toute façon, l’endroit a l’air désert.

A l’entrée d’un bâtiment, Adrien trouve un tonneau qui contient des cendres, il fouille à tout hasard les restes et trouve la carrosserie calcinée de la petite voiture qu’il avait voulu donner à son frère. Sa main se met à trembler, il serre contre sa poitrine la misérable carcasse. Ainsi il l’avait récupérée, sa voiture. Cela ne présage rien de bon.

Vincent Bicalène se faufile entre les caisses. Pour l’instant il n’y a aucune trace d’activité dans le coin. Ou Sam les a menés en bateau, ou ils ont quitté les lieux. Bicalène s’est préparé à tout, même à cette éventualité mais l’espoir de retrouver son fils est le plus fort. Qui pourrait le faire renoncer ? Ce ne serait pas la première fois qu’il avale des kilomètres pour rien. Bicalène s’immobilise. Il pense avoir entendu un bruit mais le silence est retombé sur les entrepôts. Il entrouvre la bouche pour respirer, il sent son front gagné par la sueur malgré le froid. Depuis combien de temps n’a-t-il ressenti une telle anxiété ? Son cœur cogne dans sa poitrine, il a l’impression qu’il peut l’entendre de l’extérieur. Il n’est plus habitué à ce genre de stress. Il se retourne et aperçoit Adrien qui le rejoint.

  • J’ai trouvé ça. Il lui montre la petite voiture calcinée. C’est à Eddy. Je la lui avais donnée. Eddy était là papa, c’est sûr. Sam ne nous a pas menti. Mais il n’y a plus personne et plus aucune trace de quoi que ce soit. Tu as trouvé quelque chose ?
  • Absolument rien.
  • Où sont les autres ?
  • Je ne sais pas fiston. On est dans un trou à rat ici, je n’aime pas ça du tout. On retrouve les autres et on se tire.
  • On pourrait appeler la police.
  • Pour leur dire quoi ? Je vais voir si je les trouve dans le bâtiment d’en face.
  • Je fais un tour, on se retrouve à la voiture.

Sam redescend lentement de l’étage. Toutes les pièces sont vides, aucune trace d’une vie passée. Il trouve surprenant qu’ils n’aient pas incendiés les lieux, c’est ce qu’ils font habituellement… Probable qu’ils soient encore là… Ils surveillent. Ils attendent le bon moment. Il semble qu’ils aient su, on ne sait pas comment, qu’ils allaient avoir de la visite. Sam se faufile à travers les allées de caisses. André, l’arme au poing, surgit de derrière l’une d’elles. Sam sursaute.

  • Vous n’avez rien trouvé ?

D’autres hommes armés apparaissent à ses côtés. André pointe son arme sur Sam.

Adrien parcourt prudemment l’entrepôt. Il découvre un escalier au fond, il s’en approche et aperçoit Sam baignant dans son sang. Il se précipite. Sam respire péniblement. Adrien prend son portable.

  • Un homme est gravement blessé par balle. Nous sommes dans des entrepôts à Evry !… L’adresse ?… Je ne sais pas, près d’une usine… Evry je vous dis ! Je laisse mon téléphone décroché. Dépêchez-vous ! Qui je suis ? Adrien Bicalène, vous pouvez vérifier.

Adrien pose son portable à côté de Sam.

  • Tiens le coup Sam ! J’aurais dû les appeler en arrivant… Sam tu m’entends, les secours arrivent.

Sam murmure quelque chose. Adrien se penche vers lui.

  • Qu’est-ce que tu dis ?
  • Le pote…
  • Quoi Sam ? Je comprends pas !
  • Fais… gaffe.

Sam ferme les yeux, il respire faiblement.

  • Je vais prévenir mon père et André

Adrien se précipite dehors par la porte du fond. Le silence est pesant. La ville au loin ronronne. Il jette un œil autour de lui. Il fait le tour du bâtiment en courant et se prend les pieds dans une échelle qui traine par terre, en se relevant il découvre une maison abandonnée, accolée au mur d’enceinte. Il s’en approche, à l’affût du moindre bruit. Il visite la ruine, rien ne subsiste à l’intérieur. Il va pour sortir lorsque le faisceau de sa lampe torche rencontre une porte en bon état avec une clé dans la serrure. Il la fait tourner, elle s’ouvre sans bruit, une escalier sombre plonge sous la maison, en bas il y a une faible lumière. Malgré la peur, Adrien s’engage, s’arrêtant à chaque marche, à l’écoute, prêt à faire demi-tour. Lorsque ses pieds foulent la terre battue de la cave, une vision lui glace le sang. Son frère est couché à même le sol, sale et amaigri. Oubliant toute prudence, il se précipite, se laisse tomber à genoux, se penche sur son frère, tremblant d’émotion.

  • Eddy je t’en supplie ! Eddy !

Son frère, fiévreux, entrouvre les yeux.

  • Je m’appelle pas Eddy.

D’abord floue, la vision de Léo s’éclaircit. Il distingue les traits de son frère et ses yeux surtout. Dans un flash il revoit ces yeux-là plein de larmes dans un visage d’enfant et une voix qui répète « Eddy je t’en supplie ! Eddy » A ce moment précis, il lui semble se souvenir d’Adrien, à moins que ce ne soit la fièvre qui le fasse délirer. Son frère l’aide à s’asseoir.

  • On va sortir de là. Papa et André ne sont pas loin. On va les trouver. Allez viens.

Léo ne bouge pas.

  • Je suis pas capable mon vieux. Il faut que tu partes tout de suite.
  • Je ne partirai pas sans toi.
  • C’est pourtant ce que tu vas faire.
  • Alors je vais chercher papa.
  • Laisse-le où il est. Le type qui m’a mis dans cet état… Il le connaît ! Il dit que c’est « un tueur d’enfant »… Qu’est-ce que t’en dis.
  • J’en dis que tu es aux mains d’un cinglé et que je vais te sortir de là, que tu le veuilles ou non.
  • Ils ont besoin de moi alors t’inquiète pas, je vais m’en remettre mais toi par contre, tu es en danger.

Adrien saisit son frère par les épaules.

  • Ils ont tiré sur Sam. Je ne partirai pas sans toi.

Léo accuse le coup mais il se ressaisit et repousse Adrien avec le peu de force qu’il lui reste.

  • Casse-toi !
  • Des secours vont arriver.
  • Ils arriveront trop tard.

Adrien aperçoit un bout de tatouage dans son dos. « Seul repose… celui qui meurt… » Le reste est caché par un bandage. Il dévisage Léo comme s’il venait de le voir pour la première fois. Il sent le poids d’un chagrin vieux de plus de vingt ans fondre sur lui. S’il n’avait pas aussi peur, il fondrait en larmes.

  • Je t’ai retrouvé, on ne se quitte plus…
  • Trouve ton père…
  • Notre père.
  • Trouve-le et barrez-vous. Ne vous occupez pas de moi, je suis capable de me sortir de là.

Adrien ne fait pas un mouvement. Léo palpe ses poches en vain.

  • Passe-moi un bout de papier, un ticket ?

Adrien sort une carte de visite. Léo lui arrache des mains. Il la déchire en deux et lui tend un morceau.

  • On se retrouvera, je te le promets, maintenant dégage !
  • Je vais chercher papa. On va te sortir de là.
  • Casse toi je te dis ! C’est à cause de toi que je me suis écarté de mon chemin ! C’est de ta faute si j’en suis là !

Le regard haineux de Léo fait fuir Adrien.

©lenferdudecor

52-L’odeur du sang

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